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Voyageur, ici commence L'Entre-Deux-Mondes...
Roland Deschain est le dernier pistolero de l'Entre-Deux-Mondes. Tel un
chevalier de la légende arthurienne de notre monde, Roland poursuit une quête.
Son Graal, c'est la Tour Sombre, le pivot du continuum spatio-temporel. Son but
ultime, c'est d'en atteindre le sommet et là, d'interroger le dieu ou le démon
qui y réside. Le monde de Roland est en train de se défaire. Les Rayons qui
maintiennent l'alignement du temps, de l'espace et de la proportion s'écroulent
et la Tour elle-même s'effondre. Cette instabilité structurelle affecte tous les
mondes, mais dans celui de Roland, les symptômes sont spectaculaires. A mesure
que la trame du réel s'effiloche, des "tramées" se forment et s'étendent. Ces
marécages hantés par les cris et baignés par le brouillard engloutissent tous
ceux qui s'y aventurent, faisant baculer les prisonniers dans les trous noirs
entre les mondes. Les paysages s'étirent en longueur et les points cardinaux
dérivent. Ce qui est à l'ouest un jour sera peut-être au sud ouest le lendemain,
et au sud est le surlendemain. Une destination située à cinquante kilomètres
peut se retrouver soudain aux antipodes.
En digne descendant d'Arthur l'Aîné, Grand Roi du Tout-Monde-qui-fut, et en tant
que dernier dinh de l'Entre-Deux-Mondes, Roland est l'élu à qui il
revient de sauver sa terre du néant. Mais c'est là un travail de titan. Il lui
faut trouver le moyen de préserver la trame, le métier sur lequel se tissent les
réalités imbriquées. Or pour ce faire - pour consolider la Tour et les Rayons
qui irradient d'elle - il doit trouver son chemin dans un décor tellement
fragmenté que nulle carte et nul souvenir ne peut l'aider dans sa tâche. En
fait, Roland ne sait même pas où se situe la Tour. Il comprend qu'il doit
prendre la direction d'un lieu appelé Monde Ultime, mais où se trouve cette
terre même ? Comment s'y rendre ? Dans les premiers temps de son périple, Roland
le guerrier choisit la voie de l'ascète. Persuadé qu'il ne pourra atteindre son
but qu'en cheminant en solitaire, il renie toutes les relations humaines qu'il
noue, même lorsque cela implique un sacrifice, parce qu'il juge que ce sacrifice
lui fera gagner du temps. Les compagnons et les maîtresses s'amoncellent
derrière lui comme des outres vides.
Roland croit que, pour pouvoir escalader la Tour, il doit être vierge de toute
attache dans l'Entre-Deux-Mondes. Il doit arriver isolé, autosuffisant et coupé
des liens susceptibles de le nourrir. Dans cette perspective de conquête et de
bataille, Roland Suit Walter le fourbe à travers les déserts de
l'Entre-Deux-Mondes, persuadé qu'il est que cet ennemi finira par le conduire à
destination. C'est ainsi qu'il a agi quand, jeune garçon, il a suivi le chemin
tracé pour lui par le Pomélo de Maerlyn, ce cristal magique dont les visions
déformées et maléfiques l'ont conduit à abandonner à son sort son aimée, Susan
Delgado, puis à assassiner sa propre mère.
Ce que Roland ne comprend pas tout de suite,
c'est que, comme tout jeune chevalier, il doit traverser des épreuves. Le
premier chemin sur lequel il s'engage est une fausse piste, rien de plus qu'un
glam jeté par ces ennemis qui cherchent à le retarder. Ce que leur
traîtrise révèle, c'est que le jeune Roland est poussé par l'ambition, la gloire
personnelle et la vengeance autant que par son désir d'accomplir sa destinée de
dernier guerrier du Blanc. En essayant de lui faire trahir tout ce qu'un
chevalier devrait considérer comme sacré, les ennemis de Roland s'assurent qu'il
reproduira les erreurs de ses ancêtres, et que le désespoir lui fera renoncer à
sa quête - ou bien qu'il se perdra dans ces déserts et ces golgothas de
l'Entre-Deux-Mondes, qui ne sont en fait que le reflet de son propre coeur
desséché.
Roland, le jeune guerrier, ne mesure pas la
véritable nature de sa quête. Comme Walter le lui dit dans le golgotha, il ne
mesure pas combien il est proche de la Tour, si proche que "des mondes tournent
autour de sa tête". Victime de ses propres préjugés, de la vision du monde qu'il
a héritée, il ne comprend pas que son destin et celui de l'Entre-Deux-Mondes ne
font qu'un.
L'histoire de Roland n'est pas qu'un récit d'aventures ; elle possède un sens
symbolique très fort. Son pèlerinage est intrinsèquement lié à une légende de
notre monde, une légende qui a servi de point de départ à un célèbre poème de
T.S. Eliot. Cette légende, c'est l'histoire de la Terre Perdue. Dans la version
de la Tour Sombre, cette légende est couplée à une autre croyance remontant à
l'époque où les hommes étaient persuadés que c'était Dieu qui désignait leurs
rois et leurs reines. Selon cette conception, le corps du roi est le corps de la
terre, et le bien-être de l'un est indissociable du bien-être de l'autre. Si le
roi tombe malade, dans son corps ou dans son esprit, alors la terre est
précipitée dans le chaos. Pour soigner le pays, il faut soigner le roi. Le
premier ne prospérera que si le second est bien portant.
Il en est de même ici. Le mal du tout est
semblable au mal de chacun, et ces deux maux progressent de façon similaire.
Pour comprendre ce qui dessèche et dévaste la terre, ce qui menace la trame même
de l'univers et la stabilité des mondes interdépendants, il faut déterminer ce
qui mine le roi. Tous sont affectés par le même mal, mais pour en venir à bout,
il faut en comprendre les causes sous-jacentes. Et c'est là le but réel du
voyage de Roland.
Comme nous le savons, si les Rayons lâchent,
la Tour s'effondre. Mais quel est l'équivalent de ce processus, sur le plan
humain ? Quel malaise affaiblit les liens de la culture de l'Entre-Deux-Mondes ?
Quel mal affecte Roland, l'ultime porte-parole de ce monde en décomposition ?
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