|
Ka,
ka-tet, khef et autres termes de Haut Parler
Le Haut Parler, la langue des pistoleros, est un langage subtil et complexe. Les
termes en sont difficiles à définir, car ils regorgent de nuances. Chaque mot a
un sens multiple qui fait simultanément référence à des actions humaines
ordinaires, aux liens qui unissent les individus et à ce schéma global des
mouvements passés et à venir de l'humanité dans son ensemble. Par conséquent,
aucune action humaine individuelle n'est insignifiante. Toutes sont le reflet à
la fois du ka individuel et du ka culturel.
Le ka ressemble à une roue. En réalité, il ressemble beaucoup à la roue
que Roland dessine dans Terres Perdues, une roue censée représenter la Tour, les
Rayons, et les Portails qui permettent d'entrer et de sortir de
l'Entre-Deux-Mondes. Sur la carte de Roland, le moyeu de la roue, c'est la Tour,
les rayons sont... les Rayons, les rivets en sont les Gardiens, ou sentinelles
des Portails. Certains, comme la Tortue, sont des Gardiens protecteurs, tandis
que d'autres, comme l'Ours Shardik, sont ouvertement dangereux. Mais tous
servent les Rayons, et les Rayons servent la Tour, qui elle-même préserve
l'unité de l'univers. Et peut-être ces Rayons fonctionnent-ils comme des piles,
avec des charges positives et négatives, qui s'équilibrent entre elles. Ce qui
expliquerait pourquoi la Tortue est bienfaisante et l'Ours - diamétralement
opposé - est une force négative. Même la polarité a un sens dans ce processus,
comme l'ombre et la lumière. Enfin, aussi longtemps que le tout tient en place.
Il serait ardu de dresser ainsi une carte du ka - car il est bien trop
vaste -, cependant on pourrait représenter les forces du ka-tet, en se rappelant
que la partie est une image du tout. En tant que dinh de son ka-tet et dinh de
l'Entre-Deux-Mondes, Roland se trouve au centre de cette roue. Les Gardiens de
son ka-tet actuel sont ses compagnons, Jake, Susannah, Eddie et Ote. Le sorcier
Walter - qui joue un grand rôle dans la constitution dudit ka-tet - peut aussi
être considéré comme un Gardien, bien que sa polarité soit à l'évidence
négative.
Tout comme il existe un mot pour désigner la structure du ka-tet, il en existe
un pour les liens (ou Rayons) qui assurent l'équilibre du tet. Ce mot, c'est le
khef. Comme presque tous les termes issus du Haut Parler, khef a de nombreuses
significations, y compris celle de « naissance » et de « force de vie », mais le
sens prépondérant est sans doute aussi le plus simple. Et ce sens, c'est l'eau.
Comme Roland ne le sait que trop bien depuis
sa traversée du Désert Mohaine, un homme mourra beaucoup plus rapidement de
déshydratation que d'inanition. On peut dire de même de la terre, de la société,
et de l'âme d'un individu. Une fois encore, les processus et les forces à
l'œuvre restent identiques ; seules les modalités superficielles varient. Le
khef peut signifier l'eau au sens littéral, l'essence de la vie, mais il peut
aussi désigner l'émotion, l'essence et le lien de toute relation. Que ce lien
soit fait de loyauté ou de haine, il demeure un lien. Du moins, tant que les
forces négatives et positives sont en équilibre dynamique. Une certaine quantité
de conflit est nécessaire à la croissance et au changement, mais si le négatif
prend le dessus, le ka-tet cesse d'exister.
La dynamique du ka-tet peut être appliquée
aux subtiles interactions qui constituent le tissu d'une société. Sans ces
interactions affectives, qui sont source de cohésion et d'énergie, la société se
délite et se désintègre. Elle n'est plus dès lors qu'un amas d'individualités ou
de clans en conflit. Et les bénéfices inhérents à la cohésion du tout sont
perdus.
Les liens du khef sont fondés sur la réciprocité. Les deux parties en
présence doivent collaborer entre elles, ou bien la relation est au mieux
instable, au pire illusoire. Chaque camp doit donner de lui-même. L'unité du
ka-tet dépend des forces du khef. Si le ka-tet veut survivre, les Gardiens du
ka-tet doivent rester fidèles, mais leur fidélité dépend, en retour, de la
loyauté et de la sincérité du centre. Lorsque le centre faillit, la trame se
défait, et c'est précisément ce qui est arrivé au monde de Roland et qui, par
voie de conséquence, s'est reproduit à diverses reprises dans sa vie.
Le ka est une roue ; sa seule finalité est de tourner. Le mouvement du ka
nous ramène toujours au point de départ, pour faire face encore et toujours aux
mêmes erreurs, jusqu'à ce qu'on en tire les leçons. Lorsqu'on apprend des choses
du passé, la roue continue à avancer, vers la croissance et l'évolution. Dans le
cas contraire, la roue fait machine arrière et nous donne une seconde chance. Si
une fois encore on gâche cette occasion, la roue poursuit sa rotation vers la
dégénérescence, voire la destruction. Si les termes du Haut Parler relatifs à la
vie et aux relations ont des sens multiples, il en est un en revanche qui n'a
qu'une signification : char, la mort. Le char est funeste et irréversible. La
roue continue à tourner, mais nous en sommes expulsés de force. Puisque nous
avons chacun une place dans le schéma global, la rupture du khef déchire le
tissu du Tout.
Page 1 -
Page 3 |
|